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9 juillet 2010 5 09 /07 /juillet /2010 18:55

marinetti-futurismo.jpg"l'aliénation consiste à être l'allié de ses propres fossoyeurs" Milan Cundera.

 

 Marx  développe le concept d'aliénation en se basant sur le travail de l'ouvrier dans le monde capitaliste. Celui-ci, ne vend pas sa production, mais sa force de travail. La finalité des tâches qu'il accomplit lui échappe totalement. L'artisan fabriquait un produit fini, l'ouvrier n'est qu'une machine, un outil que d'autres utilisent. L'aliénation viens du fait que l'ouvrier n'est pas décideur de sa production, qu'il obéit à des lois, celles de ses utilisateurs, ainsi qu'à des lois économiques. Il n'a aucun contrôle sur son activité.

 

Plus que le libéralisme, ce qui a bouleversé le rapport de l'Homme au travail, c'est le Taylorisme. Il faut bien distinguer les deux: le taylorisme à favorisé le developpement du capitalisme mais n'a pas de rapport avec le libéralisme.  Cette méthode de travail est apparue pour la première fois en 1880 dans le livre "l'organisation scientifique du travail". Le principe? Si l'artisan produit un objet X en faisant 450 tâches successives, il est plus rentable de décomposer ces tâches et de payer 450 ouvriers pour faire un seul mouvement. On y gagne du temps, de la précision (parce que avec ce genre de production on peut commencer à imaginer des machines pour remplacer l'Homme), de la capacité de production (du volume) et donc de l'argent. Le problème c'est que l'artisan, même s'il mettait des mois à fabriquer son objet X, il pouvait y trouver une certaine satisfaction, il acquerait aussi un certain savoir-faire, et surtout il pouvait, si il était bon, bien gagner sa vie. L'artisan du XIX Siècle, c'était un peu le dirigeant d'entreprise d'aujourd'hui: on retrouvait sa signature dans son travail. 

Au contraire, les ouvriers (je parle ici d'ouvriers à la chaîne et non pas des ouvriers qualifiés), depuis le Taylorisme, connaissent une situation qu'aucun homme libre n'a connu dans l'histoire de l'humanité. Ils ne sont pas maîtres de leur production, et cela pendant toutes leur vie. Pire, leur travail ne suppose aucun apprentissage, aucune évolution des tâches, aucun stimulus intellectuel: une monotonie dans un métier exécrable. C'est là qu'arrive l'aliénation que décrit Cundera: l'ouvrier au fil du temps, perd tout stimulus, il ne se rend même plus compte de l'absurdité de son métier, il en viendrait presque à remercier son patron, son seigneur féodal. Ce même seigneur qui de son coté, s'est employé de toutes ses forces à donner une âme et un semblant de respectabilité pour un métier qui n'en mérite pas, contrairement aux personnes qui l'exercent.

Heureusement, la figure de l'ouvrier à la chaîne n'est plus dominante en Europe de l'ouest aujourd'hui.  Nous avons pensé qu'il était bon de délocaliser ce genre d'activité, pour la bonne raison (façon de parler) qu'un aliéné chinois, roumain ou turque coûte moins cher qu'un aliéné Européen*. En tant qu'Européen, je me réjouis de cette délocalisation.  En tant qu'Humaniste, je suis consterné.

  07.jpg

 

Alors, dirons nous, l'aliénation est un concept du début du siècle dernier, aujourd'hui révolu. Pas du tout. Aujourd'hui le Taylorisme à laissé la place a des choses bien plus perfides: les sciences de l'organisation du travail, les méthodologies, les process, comme on les appellent dans le jargon. C'est un phénomène qui a, toujours existé certes, mais qui  a explosé depuis quelques années. Dans les grosses société, on ne demande plus aux cadres de  penser. Entendu pas plus tard que le mois dernier dans une conférence destinée à des cadres supérieurs: "on ne vous paye pas pour réfléchir à des solutions à la crise, on vous paye pour exécuter". Tout est vrai. Tout est dit. Et le pire, c'est que même dans l'exécution il n'y a pas de place pour l'individualité, pour la réflection, pour l'imagination, pour la création, pour l'autonomie. Tout est codifié, tout est processualisé. Le cadre d'aujourd'hui est une personne qui remplit des tableaux excel ou des fichiers informatiques, il a été formé pour ça, il ne peut s'en écarter. C'est une personne qui n'a aucune marge de manoeuvre dans l'exécution de son travail.

L'avantage avec ces méthodologies, c'est que même un employé médiocre peut s'en sortir et donner un résultat satisfaisant à l'employeur, alors que cet employé dans le vieux système serait mis au fond d'un placard.

L'inconvénient c'est que les process tuent l'initiative et le stimulus, l'auto-satisfaction, le plaisir de faire quelque chose soit même. Avec ces méthodologies, le cadre et l'employé sont des outils, des machines, tout comme l'ouvrier à la chaîne. C'est dans cette conception du travail qu'il faut rechercher les causes des suicides en entreprises,  et non pas dans les rapports humains conflictuels avec les supérieurs hiérarchiques ou entre employés. Un chef tyrannique ou incapable n'a jamais tué personne, ce n'est qu'un être humain après tout. Mais personne ne peut lutter contre les méthodologies du travail , ces systèmes qui s'auto-alimentent, qui paralysent le cerveau et la créativité, qui cristallisent les rancoeurs contre un ennemi invisible, qui frustrent les travailleurs, qui enchevêtrent tellement  les rôles et responsabilités que personnes ne sait qui est responsable de quoi. A' force de décomposer les tâches du travail, personne ne sait plus ce qu'il fait ni pourquoi il le fait. De là à ne plus savoir comment le faire il n'y a qu'un pas.

Le cadre et l'employé d'aujourd'hui sont  les aliénés de notre société. Pour éviter de se retrouver dans 50 ans avec des armées de travailleurs ne sachant qu'exécuter, ayant perdu tout sens de la finalité globale de leur travail, il faut dès aujourd'hui remettre en cause les théories d'organisation du travail (j'aimerais d'ailleurs entendre les syndicats sur ce sujet).

Il faut aussi arrêter de former des exécutants dans les universités. Qu'est-ce que le choix de l'ultra-spécialisation au détriment des études plus généralistes sinon le choix du "savoir exécuter" à la place du "savoir penser"? Il faut absolument revaloriser les études généralistes: Nous avons 40 ans de travail qui nous attendent pour chaque vie,  cela en laisse du temps pour se spécialiser! Alors que l'on n'a que 2 à 5 ans pour apprendre à  réfléchir, pour s'ouvrir au monde, pour apprendre à apprendre, pour se construire; ne les gâchons pas.

 

Article connexe: L'aliénation du III millénaire (partie II)


* Il serait bon et original d'analyser les causes de la faible industrialisation du continent Africain, dans cette optique. Outre les raisons politiques et les lacunes d'infrastructures, est-ce que les Africains, de part leur culture, seraient moins aliénables que les Européens ou Asiatiques?

 

Illustration:

Enrico Prampolini - Ritratto di Marinetti

 

Note: L'utilisation de peintures du Futurismo, mouvement artistique mais aussi idéologique italien, n'est pas coïncidence.

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commentaires

K
<br /> <br /> Alors regardez par la fenêtre, regardons tous par la fenêtre...<br /> <br /> <br /> <br />
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U
<br /> <br /> Je ne peux pas me permettre de parler du continent Africains parce que tout ce que j'en sais viens des documentaire de Arte sur la migration des phenycoptère et la reproduction des Castor du<br /> Gabon. J'ai une vision très étriqué et stigmatisé de ce continent qui reste mysterieux.<br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Je donne un début de réponse pour les africains, je peux me permettre j'en suis une, ils sont tout aussi aliénables mais par le grand hasard de la nature c'est un continent riche en matières<br /> premières. Industrialisation et richesse en ressources n'ont jamais fait bon ménage. A mon humble connaissance pas d'exemple de pays qui réunissent les deux, à l'exception de la Norvège, mais<br /> surement pour confirmer la règle et la Norvège n'est pas située en Afrique...<br /> <br /> <br /> L'aliénation existe, au-delà de toutes considération politique et économique, simplement elle s'exprime autrement. <br /> <br /> <br /> Maintenant il s'agira de savoir si c'est un bien pour un mal une faible industrialisation du continent.<br /> <br /> <br /> L'université africaine n'a pas pour leitmotiv de former des libres penseurs, mais le fait d'être abandonné dans une structure universitaire sans but affiché mène invariablement vers<br /> l'auto-formation par simple instinct de survie.<br /> <br /> <br /> Résultats des courses, l'ingénieur occidental sur-spécialisé et formaté est fatalement monosynaptique et donc monotâche (inefficace en dehors de son domaine), l'ingénieur<br /> africain, n'ayant connu ni méthode ni process dans l'apprentissage, est naturellement polyvalent et multitâche (tout aussi inefficace touche à tout bon à rien).<br /> <br /> <br /> L'aliénation est équivalente à mes yeux, j'insiste je dis bien à mes yeux.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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U
<br /> <br /> L'université est fautive de se plier aux exigences des entreprises. Il est normal que ces dernières demandent des diplomé qui sachent déjà travailler, c'est leur rôle, il n'est pas normal à mon<br /> avis que les Université se plient au volontés en oubliant leur fonction principale qui est de former des citoyens intellectuellement indépendant.<br /> <br /> <br /> Concernant le titre, le tertiaire est le secteur des services (l'ouvrier à la chaine travaille dans le secondaire, le secteur de l'indsutrie). CE qu eje dit dans l'article c'est que auparavant,<br /> l'aliénation toucahit que le secteur industriel, et plus particulierement les ouvriers à l achaine qui etaient très nombreux (l'aliénation ne touche pas, ou beaucoup moins, les ouvriers qualifié<br /> par exemple), aujourd'hui le travail à la chaine a presque disparu en Europe, délocalisé dans les pays en voie de developpement, par contre, une partie du secteur tertiaire est desormais en proie<br /> à l'aliénation de ses travailleurs. Et ceux là sont extremement nombreux.<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> je ne pense pas que la fautive soit l'université, plutôt des entreprises elles-mêmes qui préfèrent des profils plus techniques que théoriques. L'université, sont but est justement de donner une<br /> connaissance "universelle", dans plusieurs domaines ou plusieurs spécialités d'une même discipline. Sauf que les entreprises ne cherchent pas des gens pour penser (sauf dans les hautes sphères<br /> telles que la R&D), mais pour exécuter en nombre ce que quelques privilégiés ont décidé.<br /> <br /> <br /> Sinon le titre je le trouve un peu abusé. Le tertiaire recouvre une grande partie de métiers (le tourisme en fait partie), je dirais que c'est plutôt le "travail à la chaîne" qui aliène l'esprit<br /> (même s'il fait effectivement partie du secteur tertiaire). En tout cas, ton article est hélas bien véridique, je pense que l'aliénation, la destruction intellectuelle anime les pauvres (mais<br /> courageuses) personnes qui opèrent là dedans.  <br /> <br /> <br /> <br />
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