Lundi 7 juin s’est ouvert le procès de Jérôme Kerviel, l’ancien opérateur de marché qui est accusé par la Société Générale de lui avoir fait perdre 4,9 milliards d’euros lors d’opérations financières qu’il aurait, selon sa banque, exécutées à son insu. Cette affaire me passionne. Lorsque l’affaire éclate un beau matin de janvier 2008 par le biais d’un communiqué de l’AFP de couleur rouge sang (c'est-à-dire un des niveaux les plus élevés pour une dépêche), je me dis que cette affaire va laisser des traces. Jour après jour, mois après mois, papier après papier, je commence à m’intéresser de plus en plus à ce dossier qui flaire bon la magouille avec un grand M. il faut dire que ma curiosité a, il est vraie, été quelque peu « poussée » par les nombreux appels que mes collègues journalistes et moi-même avons reçus de la Société Générale ou des avocats de Kerviel qui demandaient le retrait de tel propos ou de tel mot dans les papiers pour des motifs divers et variés.
Plus de deux ans après les faits, Kerviel, 33 ans, est ainsi jugé pour "abus de confiance", "faux et usage de faux" et "introduction frauduleuse dans un système de traitement automatisé de données informatiques". Il encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 375.000 euros d'amende. Concrètement, la banque lui reproche d’avoir détourné les mesures de contrôle pour spéculer sur les marchés en dépassant outre-mesure les limites financières qui lui avaient été imposées. De son côté, l’ancien trader admet avoir « perdu la notion des choses », obnubilé par l’idée de faire gagner toujours plus d’argent à la banque. En revanche, il estime que ses responsables étaient parfaitement au courant de ses agissements. « Inouï », selon Jean-Pierre Mustier, l’ancien directeur de la banque de financement et d’investissement de la banque, qui s’est présenté mardi à la barre. Pour rappel, l’homme a dû quitter la banque en août 2009 suite à l'ouverture d'une enquête de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour délit d'initié.
"Mes supérieurs m'ont laissé faire"
Jérôme Kerviel, dans un livre publié à la suite de l’affaire, intitulé « l’engrange » - et que je n’ai pas acheté car je refuse de donner un sou à ce type de personnage –est pourtant formel. Ses responsables « savaient ». Ou du moins, ils le laissaient faire, sans dire oui, ni non. Tant que l’argent rentre, même si tu dépasse les limites, ça ira. C’est en gros le message qu’il recevait (ou qu’il croyait recevoir). Selon l’enquête du juge chargé de l’affaire, le trader aurait menti à ses supérieurs, profitant de sa connaissance du middle-office, où il a travaillé entre 2000 et 2005 avant de devenir trader à proprement parler. Il aurait du coup produit des faux documents qui, selon les juges d'instruction, "ont mis en échec les contrôles de la banque" et qui, selon une autre enquête, interne à la banque cette fois, n’ont pas de toute façon été à la hauteur.
Pourtant, selon un récent sondage, 50% des Français estiment que Kerviel est une « victime » de la SG. Une victime du capitalisme sauvage, de la quête de l’argent, du profit incessant qui incite à flirter avec les règles et les lois. Or après la crise des subprimes, les bonus records accordés aux traders malgré la crise, les bénéfices exceptionnels des banques moins de deux ans après leurs sauvetage par les différents gouvernements mondiaux, l’opinion publique peut légitimement accorder le bénéfice du doute à un ancien trader qui est, comme il l’avoue lui-même, « allé trop loin « . Peut-être que Kerviel a effectivement abusé tout le monde et qu’il a perdu les pédales, spéculant de l’argent à droite et à gauche comme on joue au Monopoly. D’après lui, dans ce métier « on perd la notion des montants, ça va tellement vite qu'on n'a plus le temps de réfléchir. Oui, j'étais partie prenante de ce système ». L’enquête a par ailleurs montré qu’il n’a jamais tiré profit personnel de ses prises de positions sur les marchés, mêmes quand celles-ci étaient gagnantes. C’était donc peut-être un simple employé qui a perdu le sens des réalités et s’est jeté tête perdue dans son métier sans penser aux conséquences. Et quand les choses ont mal tourné, il était trop tard. Mais retournons la question : est-ce que la banque aurait mis un terme aux agissements de Kerviel si ceux-ci s’avéraient gagnants ? Est-ce qu’elle aurait licencié Jérôme Kerviel et ses supérieurs hiérarchiques si les positions frauduleuses du trader lui avaient rapporté 4,9 milliards d’euros de gains plutôt que de pertes ? Je ne pense pas me tromper en disant que chacun de nous, s’est, au moins une fois, posé la question. Alors, responsable, mais pas coupable ? A la justice de bien faire son travail et d’en décider.
Pour aller plus loin:
Interview - «Il faut réintroduire l'homme au centre des marchés financiers» (figaro.fr)
Ce que les banques ont retenu de "l'affaire Kerviel" (La Croix.fr)