Je profite de l'actualité Dieudonnesque pour vous proposer un diptyque sur le sujet Dieudonné. Mon compère de Blog Simsalatrim a récemment publié son avis sur le sujet et je vais en faire de même ici. Cet exercice me semble pertinent afin de profiter de plusieurs points de vue. Le cas Dieudonné est intéressant car il pousse les limites de la liberté d'expression, et il est toujours intéressant pour les observateurs de la fenêtre d'observer les réactions du système lorsque celui-ci est poussé à bout.
Tout d'abord je salue le talent du comédien dans lequel je retrouve un peu de Andy Kaufman pour sa capacité à bousculer les lignes et dans son habilité à susciter des émotions contradictoires chez le spectateur. Il y a aussi chez Dieudonné une part de Ron Jones, ce professeur de lycée qui s'est laissé emporter en 1967 dans une expérience in vivo sur les régimes autocratiques avant de s'apercevoir que l'expérience lui échappait (à ce sujet il a été tourné un film "Die Welle") et que certains de ses élèves avaient perdu contact avec la réalité. C'est un peu ce qui s'est passé à mon avis avec Dieudonné.
La réaction des medias.
Dieudonné, notamment avec son sketch sur le colon israélien extrémiste chez Fogiel, a mis en lumière un comportement inquiétant des medias. Ce sketch n'était pas très réussi dans le sens ou il n'était pas très drôle, toutefois il n'avait rien de choquant: comparer un extrémiste israélien à un néo-fasciste ou néo-nazi me semble même plutôt pertinent dans la mesure où il y a des similitudes entre tous les extrémismes (en l'occurrence la notion d'espace vitale que partagent les extrémistes sionistes et l'Allemagne des années '30). Et ce n'est pas faire injure aux juifs ni aux Israéliens que de dénoncer la frange extrémiste de cette nation, bien au contraire.
Ce qui fut surprenant dans ce premier évènement qui déterminera la suite de la carrière de Dieudonné, c'est l'amalgame fait par les medias entre ce personnage clairement extrémiste (il a tout de même une cagoule, un treillis militaire et toute la panoplie du "radical") et le peuple juif ou israélien dans sa totalité. Les medias ont voulus nous faire croire à travers une pirouette sémantique qu'en dénoncant les extrémistes sionistes, Dieudonné offensait le peuple juif dans sa totalité, ce qui pour le coup est à mon sens un raccourci qui frôle le racisme car sous-entendant que tous les juifs se reconnaissent dans les extrémistes sionistes, ce qui est loin d'être le cas.
Quant à la question de savoir le pourquoi de cette levée de bouclier des médias, l'humoriste propose deux réponses: ou bien il y a dans les medias Français un lobby sioniste qui souhaite défendre (ou du moins ne pas attaquer) la politique expansionniste de l'Etat Israélien (politique condamnée par l'ONU, rappelons-le), ou bien les évènements de la seconde guerre mondiale et en particulier la déportation des juifs ont crée un tel traumatisme et un tel sentiment de culpabilité dans la société Française qu'elle a aujourd'hui un complexe par rapport à l'Etat d'Israël, et n'est plus capable de juger sereinement les évènements politiques du proche-orient, ce qui serait tout aussi inquiétant.
Voilà ce que nous dit l'affaire Dieudonné sur les medias: il y a en France un problème aussi bien dans le traitement de l'information que dans l'appréciation de la politique de l'Etat Israélien.
Liberté d'expression
Dans la première phase de sa période d'infréquentabilité, Dieudonné a été à mon avis injustement banni des médias, alors que la justice française lui donnait raison. Cette injustice a provoqué une réaction physiologique de retranchement chez l'humoriste. Dans la mesure où l'on considère que l'injustice rend les hommes qui la subissent injuste, nous pouvons considérer qu'en entretenant l'ambigüité entre l'antisionisme revendiqué de Dieudonné (ce qui n'est pas un délit, et à vrai dire une idée partagée par une partie significative de la population) et l'antisémitisme,
. Ce genre de procédé est assez courant en communication, mais n'en reste pas moins intellectuellement malhonnête. Il peut-être utile afin de se rendre compte de ce qui peut se dire et de ce qui mérite le silence, de prendre un peu de hauteur en prenant un exemple différent. Sous certains aspects la situation israélo-palestinienne est étrangement similaire à la situation de l'Irlande du Nord de ces derniers siècles. Au-delà du fait que cela ne présage rien de bon pour nos amis israéliens et palestiniens, personne ne s'aviserait de crier au racisme dès lors qu'un professeur d'histoire porterait un jugement sur la politique de colonisation protestante (Henri VIII) en Irlande du Nord catholique. La liberté d'expression a donc été clairement bafoué lorsque certains médias ont refusé d'inviter Dieudonné voir incité au boycott suite à l'émission chez Fogiel.
Reussiront-ils à le faire craquer?
Et oui, finalement Dieudonné aura craqué. Avec cette phrase sur Patrick Cohen, il dépasse à mon avis le cadre de l'humour et de la provocation, bien que cette remarque ai été faite sur scène, lieu de liberté s'il en est. Ce n'est pas une surprise, Dieudonné est avant tout un homme de spectacle, peu armé pour ce genre de performance. Plus doué que ses compagnons il a essayé de se distinguer en faisant entrer la comédie dans une nouvelle sphère où l'on ne distingue plus qui est le comique entre le comédien sur scène et le spectateur, tout cela grâce à un sujet qui lui permettait de jongler avec une palette d'émotions et de réactions inouïe. Pourtant il a fini par craquer, à force de vouloir pousser à bout le système, celui-ci s'est retourné contre lui et rares sont les personnes qui peuvent supporter tant de pression tout en gardant le cap de la cohérence et sans tomber dans les travers caractéristiques des hommes.
C'est dommage car ce comédien de talent aurait pu être une occasion pour tirer vers le haut le genre comique tout en ouvrant certains débats intéressant au niveau national, notamment sur la justification de la distinction entre antisémitisme et racisme (dont le sens m'échappe encore), ou sur l'impact que peut avoir une hiérarchisation des crimes contre l'humanité et par conséquent de la douleur des peuples dans la politique de la nation.
Au lieu de ça, le citoyen et le spectateur auront droit à une ultime quenelle de 450 épaulé-jeté, cette fois provenant des medias, et qui consistera -après avoir définitivement réduit l'ancien humoriste fatigué et usé au silence- en une mediocre parodie de justice, d'offuscation. Ce sera le triomphe de la simplification de la pensée.
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Pour le plaisir, un de mes sketch préféré de Dieudonné: "La fine équipe du 11". Au delà de toutes considération non-scéniques, c'est quand même autre chose que ce que l'a l'habitude de voir de nos jours sur le petit écran non?
Et enfin ci-dessous une interview surprenante et bien peu laïque de Manuel Valls.
Manuel Valls à Radio Judaica: "Par ma femme je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël"